UN HOMME DE DOS NOUS REGARDE

UN HOMME DE DOS NOUS REGARDE

Réalisateur : Alain Jessua

Le film :  La vie à l’envers

L’année : 1964

Avec : Charles Denner, Anna Gaylor, Jean Yanne

La fâcheuse posture du visionnaire isolé

C’est en 2007 que «La vie à l’envers» refait parler d’elle, via l’édition d’un roman écrit par Alain Jessua, – seul moyen de faire connaitre ce film méconnu -, en écrire une version roman, rigoureusement fidèle à son adaptation cinéma, pour que le film voit également le jour sur un support physique. Ce qui a été le cas puisque que l’éditeur Léo Scheer l’a bel et bien publié accompagné d’un dvd du film.

A cette initiative, je rencontrais Alain Jessua à son domicile parisien pour qu’il me parle de ce combo particulier, «le livre-film». Ses propos furent rapportés pour la chronique « porté disparus » qu’abritait en son temps les belles pages du magazine ciné «Split Screen».

Affable, d’un tempérament joyeux, Alain Jessua réfutait ma version du film, à savoir le portrait implacable d’un homme qui se coupe de tout, y compris de lui-même, car n’existe-t-on pas à travers les autres ?

Pour Jacques, le personnage principal interprété par Charles Denner justement, « l’enfer, c’est les autres » pour reprendre la célèbre formule sartrienne !

La cruauté de son film amusait toujours autant son auteur qui avait en quelque sorte réussit son coup ! On ne saura jamais si son personnage Jacques Valin se positionne en victime ou un bourreau !

Son film est «optimiste» m’avait-il répété tout comme il l’est lui-même malgré les tourments et autre fracas qu’il avait pu rencontrer dans sa vie d’homme et de réalisateur.

En ressortant de chez Alain Jessua, je n’arrivais pas forcément à croire à sa version car «La vie à l’envers» dégage un malaise inexplicable malgré le ton presque enjoué du film.

On a mal pour ce personnage hors du commun, c’est une vraie odyssée contemplative pour Jacques Valin qui ne veut plus appartenir aux autres et qui préfère s’asseoir un beau jour, non pas sur le trottoir d’à côté comme dit la chanson d’Alain Souchon, mais plus simplement sur sa moquette, comme si en effet ses jambes l’avaient soudainement lâchées.

Le roman, copié-collé de l’oeuvre cinématographique, rend hommage à une famille littéraire dans laquelle Jacques Valin aurait pu trouver ses marques, celle des désoeuvrés : Henri Calet et Eugène Dabit pour leurs goûts des pérégrinations parisiennes, Emmanuel Bove et Raymond Guérin pour le dégoût des autres.

Puis il y a ce malentendu, le film a été récompensé du prix Femina du cinéma alors qu’il est tout de même frappé du sceau de la misogynie, même son réalisateur le reconnait, la femme de Jacques Valin interprétée pourtant par la délicieuse Anna Gaylor en prend d’ailleurs pour son grade.

Après publication de cet article, il a fallu que j’en revienne à cette vie à l’envers via l’un de nos entretiens carrières pour l’émission sur le web, «L’oeil du témoin».

C’est même Jean Ollé-Laprune qui avait exprimé l’envie de s’entretenir avec le réalisateur car nous étions d’accord sur un point : Alain Jessua n’avait jamais eu les honneurs qu’il méritait, bien trop modeste pour le reconnaître.

Par la même occasion, Jean Ollé-Laprune étant l’heureux présentateur d’une émission importante de ciné-classic, «Le club», ce qui nous permettait de rendre hommage par la même occasion à une émission sur le cinéma, peut être l’une des dernières qui ont comptées après «Cinéma Cinémas» et «Monsieur Cinéma» de Pierre Tchernia.

Tout au long d’un après-midi de septembre 2012, Alain Jessua nous a accordé ce long entretien, se prenant au jeu de la confession parfois, ses mots pour décrire la fin de Patrick Dewaere reste l’hommage le plus émouvant à l’acteur trop tôt disparu, ainsi que l’évocation de la guerre évoquée dans le module de «La vie à l’envers» justement. D’une pièce à l’autre de son appartement, nous nous étions déplacé pour « changer de décors », un peu comme Jacques Valin qui va et vient dans son appartement dont les murs lui sont plus proches que son épouse comédienne.

A la fin de l’entretien, Jessua nous avait salué avec soulagement, « vous m’avez coupé les jambes » ironisa-t-il, essoufflé. Dès que nous serions partis, m’étais-je demandé, est-ce qu’Alain Jessua en profiterait pour reprendre la même posture que son personnage: assis sur sa moquette, tournant le dos à ses congénères ?

Malgré des diffusions de ces films ou des éditions dvd par StudioCanal, Alain Jessua n’est pas suffisamment reconnu.

Pourtant, «La vie à l’envers» est l’un de ces films qu’on peut classer parmi les dix meilleurs films français de tous les temps ! Visionnaire, Alain Jessua y annonce le mal du siècle, le dépression nerveuse ainsi que l’individualisme élevé au rang d’oeuvre d’art !

Son «Jeu de massacre» avec les dessins de Guy Pelleart, une tentative nouvelle de faire intervenir la BD dans une oeuvre cinématographique, puis «Les chiens», décrit les ravages d’une violence parallèle via les cités nouvelles et «Traitement de choc», la montée en puissance du culte du corps. «Paradis pour tous», une variante de la lobotomisation des masses à travers le portrait d’un «flashé» incarné par Patrick Dewaere, un double du personnage de Jacques Valin, à savoir un étranger dans son propre couple.

Visionnaire, on vous le répète, artiste de contrebande, qui a réalisé des films populaires tout en y injectant des vérités bien senties, Alain Jessua est un réalisateur à réhabiliter d’urgence.

A présent, reste à savoir si cette vie à l’envers reviendra tourmenter de nouveaux spectateurs. Pour ma part, j’espère en avoir fini avec Jacques Valin, double un peu trop encombrant.

Depuis peu, une jeune génération s’intéresse à son oeuvre. Pour preuve, un long entretien dans la revue «Gonzaï», puis «Insert» dirigé par Derek Woolfenden lui avait consacré une interview et enfin le magazine «Split Screen» il fut un temps dont voici la retranscription.