BROUILLARD À CREUZEVILLE

BROUILLARD À CREUZEVILLE

Réalisateur :

Le film :  Jean Marboeuf

L’année : 1979

Avec : Jean-Pierre Cassel, Michel Duchaussoy, Michel Galabru

Inédit en DVD

Marboeuf ? Un cas à part dans le cinéma français ?

En tout cas, à ranger dans la famille des réalisateurs un peu déclassés, tels que Mordillat ou Edouard Niermans, voire des regrettés Michel Vianey, Jean Pourtalé ou bien encore Serge Leroy qui, pour cause de départementales déviées, ont connu des spectaculaire sorties de routes.

Bref, une filmographie décousue mais éminemment sympathique.

En cela, ils rejoignent ce club, « les intentionnistes».

Marboeuf aimerait le terme, un mot qui se rapproche de «situationniste ».

Définition : un cinéma dit d’intentions et plein de bonne volonté.

Pour de multiples raisons, souvent une absence de moyens, la réalisation n’est pas toujours à la hauteur mais elle est néanmoins ponctuée de très belles maladresses !

Qu’importe, Marboeuf est un anarchiste convaincu, son cinéma lui ressemble ! Et filme à la va que je te pousse !

Un réalisateur de plus à épingler au tableau de chasse de «L’oeil du témoin».

C’est l’occasion d’aller à la rencontre du réalisateur. Le rendez-vous est pris, du côté de Montreuil près de Dreux et oui.

C’est les Marboeuf qui nous reçoivent, Anne-France, sa femme, fidèle collaboratrice et monteuse principale de presque tous ses films, et Jean lui-même quelque peu intrigué qu’on vienne le titiller sur ce film de commande qui lui ressemble tout de même comme un frère.

En 1980, Jean Marboeuf accepte cette commande ou plus exactement reprend les rênes d’une histoire abracadabrante via ses producteurs, les Legargeant, qui sont en contact avec un assureur pour les tournages de cinéma.
Paralysé, cet assureur en chaise roulante, s’imagine en « Robert Dacier » de la série « L’homme de fer », (ça ne s’invente pas), il vient d’écrire un scénario destiné pour la télé, une intrigue policière avec justement un homme paralysé en personnage d’enquêteur.

D’un point de départ assez convenu, en province, un PDG d’une multinationale est assassiné, ses associées font venir de Paris un privé qui servira de bouc émissaire, Marboeuf fait mains basse sur ce scénario. Au final, c’est l’homme en chaise roulante qui sera l’assassin, ce qui par la suite déclenchera les foudres du principal intéressé.

Une autre information, à la fin du film, nous apprend que le film est tiré d’un soi-disant roman «Les associés» de Martin Meroy, auteur de polars, mais aucune traces de cet ouvrage. Et encore moins dans la mémoire de Marobeuf.

En se réappropriant cette histoire, Marboeuf a le désir d’en faire une petite série B (c’était d’ailleurs le titre original) et embarque une bande de comédiens qu’il connait bien, dont Galabru qu’il retrouvait après avoir été l’un des premiers à reconnaitre le sérieux de l’acteur avec « Monsieur Balboss », il réussit également à convaincre un Jean-Pierre Cassel virevoltant dans le rôle d’un privé d’un genre un peu particulier, anarchiste, vaguement homosexuel.

Son personnage de privé est aussi atypique qu’une nouvelle race de privés qui fait son apparition en salles, souvent des anti-héros tels que Mose Wine, le privé juif des romans de Roger Simon, interprété par Richard Dreyfuss dans « The Big Fix » de Jeremy Paul Kagan, «Le fouineur» d’Ettore Scola avec Alberto Sordi, des traines savates qui se trimballent pas mal de casseroles. Deux films sortis à la même période dont le privé de « La ville des silences » se revendique comme un lointain cousin français.

Ce qui fait la personnalité de ce polar borderline, c’est justement son côté foutraque, mal goupillé, avec les moyens du bord, petite équipe réduite mais grande envie de traiter un sujet ambitieux, l’incarnation du mal dans ce qu’il a de plus vil. En l’occurrence, un petit village de province et ses dignes représentants, cachés derrière des volets mauves, belle trouvaille de décors !

En cela, il rejoint en effet des films à la lisière du fantastique avec «L’argent des autres » de Christian de Challonge ou « L’imprécateur » de Jean-Louis Bertuccelli. Une fois encore, le meurtrier principal n’est autre qu’une multinationale peu scrupuleuse et aux méthodes expéditives.

Marboeuf paye son tribu à des cinéastes du moment, Chabrol inévitablement pour ce petit côté provincial et annonce avant l’heure « Le poulet au vinaigre » ; à la même période, Jean-Pierre Mocky signait «Le piège à cons », un polar contestataire et Etienne Perrier « un si joli village », autre oeuvre dénonciatrice de la province et ses secret.

On peut y déceler l’influence d’un autre film, «Un homme est passé», le classique de John Sturges.

Le film tourné en pleine indépendance connaitra une suite de problèmes, Marboeuf interdit de montage car en désaccord avec le producteur qui ne supportait pas le caractère libertaire de l’oeuvre. Le film se dédouble, deux montages, deux fins radicalement différentes, deux affiches et deux titres.

Autre pied de nez, le film est dédié à Jean-Louis Bory, un ami de Marboeuf, on est prêt à croire qu la personnalité volontairement anar du personnage principal n’aurait pas déplu au célèbre critique.

Malgré une bonne presse, le film fut vite retiré des circuits alors qu’il connaissait un certain succès public. Distribué par Parafrance qui n’avait que faire d’un Marboeuf. Le film souffrira également de la concurrence avec «La guerre des polices» de Robin Davis sorti au même moment qui avait pour mérite de dépoussiérer le genre. Marboeuf, lui, reste dans la tradition, son histoire se veut classique, parsemée de quelques fulgurances.

Malgré un très bon accueil critiques, le film est un échec, sera diffusé sur la Cinq en toute fin de soirée, et ne fera plus parler de lui.

Par la suite, Jean Marboeuf retrouvera Jean-Pierre Cassel pour la collection « Série noire » de Pierre Grimblat, c’est l’adaptation du roman « La lune d’Omaha » de Jean Amila alias Jean Meckert, ce n’est pas un hasard tant l’auteur anar, celui qui avait écrit «Les coups», rejoint l’esprit contestataire d’un Marboeuf. Dans ce téléfilm, Vincent Cassel incarne la version jeune de son propre père.

Puis ce sera deux rendez-vous manqués, après «Vaudeville», Jean Marboeuf est soudain « bankable », il veut adapter la vie de Marius Jacob, l’ancêtre d’Arsène Lupin et modèle avoué de Maurice Leblanc, projet qui n’aboutira pas, puis c’est le fameux «Cassidy girl». A l’époque où le cinéma français, après «Rue barbare» de Gilles Behat et «La lune dans le caniveau» de Jean-Jacque Beneix, découvrait Goodis. Au casting, Johnny Hallyday et Béatrice Dalle, pourquoi pas, mais là encore, cela ne dépassera pas le stade d’un beau projet sur le papier.

Puis Marboeuf se consacre à sa trilogie, après « Vaudeville », il réalise «Grand guignol » puis il y eût le projet «Opérette» qui ne vit pas le jour.

Il finira pas réaliser pour la télé deux Nestor Burma dont le plus emblématique « Brouillard au pont de Tolbiac». Là encore, le producteur, pour des raisons budgétaires, avait décidé qu’il n’y aurait pas de pont et encore moins de brouillard. Qu’à cela ne tienne, Marboeuf ne va pas capituler pour autant et finira par avoir gain de cause, il aura son pont et le brouillard qui va avec, et signera l’adaptation la plus proche de celle des BD de Tardi. Il finira même par convaincre Guy Marchand de revêtir la célèbre canadienne du personnage de Leo Malet.

Encore une histoire de privé, une manière élégante de boucler la boucle avec « La ville des silences» qui, pourquoi pas, n’est autre qu’un Burma à peine déguisé et délocalisé à… Creuzeville…. la ville aux volets mauves…